Le sang des pierres
« D’abord, je vais te parler de mon rêve, c’est avec lui que
tout commence. Ensuite, je te raconterai les hémorragies, Cape Cod, et
puis ce qu’il en reste. »
Cette histoire est celle de Jeanne. C’est elle qui la raconte. Pour
soulager son cœur, expulser sa colère, ne plus être triste. Son
histoire, elle l’adresse à celui qu’elle a aimé. Celui qui ne l’aime
plus. Celui qu’elle voudrait oublier, enfouir sous le sable de Cape Cod,
avec tous les souvenirs qui lui sont associés. Sa maladie, son sang,
leur noyade. Hantée par la figure de Virginia Woolf, Jeanne imagine se
consoler dans le déferlement des vagues. Elle raconte les hémorragies
utérines qui soulèvent le corps, l’engloutissent et le recrachent un peu
plus vide, un peu plus lourd. Elle parle de sa fatigue d’être mère et
des enfants qu’elle désirait, qu’elle ne pourra plus avoir. Pourtant,
quelque chose se passe à mesure que Jeanne se raconte. Les morceaux
épars de sa vie s’assemblent, deviennent plus réels, cessent de lui
appartenir, la quittent. Mais les blessures ne s’effacent pas, et
pardonner est impossible.